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Les risques de désastres ferroviaires demeurent élevés au Canada, selon des experts


« Un désastre comme celui de Lac-Mégantic est toujours possible. »


Julie Landry, 1 mars 2023


Le déraillement d’un train qui transportait des produits chimiques toxiques dans la localité d’East Palestine, en Ohio, a réveillé de mauvais souvenirs auprès de ceux qui ont vécu la tragédie de Lac-Mégantic. Plusieurs craignent que le scénario ne se reproduise, et des experts s’inquiètent.


Louis-Serge Parent a connu l’explosion du train à Lac-Mégantic de trop près. Il vit à environ 100 mètres du désormais célèbre Musi-Café qui a pris feu lorsque le train de 72 wagons de pétrole brut a terminé sa course dans une explosion meurtrière, le 6 juillet 2013. J’ai vu le feu orange, se rappelle celui qui a dû fuir sa maison ravagée par les flammes.


Louis-Serge Parent a observé avec horreur ce qui s’est passé le 3 février, dans la localité d’East Palestine, en Ohio. Le déraillement du train qui transportait des produits chimiques toxiques a provoqué un énorme incendie et l'évacuation de centaines de personnes.


Quand il voit d’autres tragédies de la sorte se produire, il a l’impression que la situation empire. Ce n’est pas plus sécuritaire, estime celui qui est l'un des trois résidents de Lac-Mégantic ayant déposé un recours collectif contre le Canadien Pacific au nom de tous les proches des victimes.


« Je me dis qu’on n’apprendra jamais. »

— Une citation de Louis-Serge Parent, résident de Lac-Mégantic


Peu de changements

La tragédie de Lac-Mégantic a été le déraillement le plus meurtrier au Canada en 150 ans, comme l'explique le consultant en sécurité ferroviaire Ian Naish, ancien dirigeant du Bureau de la sécurité des transports. Après la tragédie, une série de mesures ont été introduites. Malgré cela, des experts de la sécurité ferroviaire croient que les risques qu'un autre désastre se reproduise demeurent élevés. Parmi les mesures introduites, on retrouve la diminution de la vitesse des trains et le rehaussement des exigences d’inspection des voies pour les trains qui transportent des marchandises dangereuses. Selon Ian Naish, ces nouvelles mesures de sécurité sont marginales.


Il cite l’exemple des wagons-citernes qui doivent désormais être plus robustes pour éviter de se fissurer en cas de déraillement. Or, selon le consultant, celui qui s'est produit en 2019 près de Guernsey, en Saskatchewan, démontre que même des wagons-citernes plus solides ne peuvent rien contre des vitesses élevées. L'accident a provoqué un important incendie et le déversement d’environ 1,6 million de litres de pétrole brut.


Beaucoup de travail a été effectué pour rendre ces wagons plus robustes, mais tous les paris sont ouverts quand ils dépassent les 35 miles à l’heure [56 km/h], explique Ian Naish.


Un désastre comme celui de Lac-Mégantic est toujours possible, croit Bruce Campbell, professeur adjoint à la Faculté d’études environnementales de l’Université York et auteur de l’ouvrage Enquête sur la catastrophe de Lac-Mégantic : quand les pouvoirs publics déraillent.


Bruce Campbell souligne que les appels répétés pour une enquête indépendante après la tragédie de 2013 n’ont jamais été entendus. Il croit que le lobby de l’industrie ferroviaire a retardé la mise en place de changements pour sécuriser le transport ferroviaire.


« Les gens qui vivent près des voies ferrées, que ce soit à Lac-Mégantic ou au cœur de Toronto ou de Vancouver, sont encore en danger. »

— Une citation de Bruce Campbell, auteur d'Enquête sur la catastrophe de Lac-Mégantic


Des progrès lents

Dans un rapport de 2020, le bureau du vérificateur général du Canada a indiqué que Transport Canada n’en avait toujours pas fait assez pour prévenir les risques entourant le transport de produits dangereux. Les enquêteurs ont souligné que, même si des changements administratifs ont été implantés, trop peu de changements physiques ont été apportés.


La présidente du Bureau de la sécurité des transports du Canada, Kathy Fox, a exprimé, lors de la sortie d’un rapport en 2022, sa déception devant la lenteur de la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires.


Il y a du progrès, mais c’est très très lent, a confié Kathy Fox à CBC.Je ne peux pas dire que [l'accident survenu en Ohio] ne pourrait pas se produire ici.


Le Bureau de la sécurité des transports (BST) a signalé 86 accidents ferroviaires impliquant du transport de matières dangereuses en 2021. Dans deux cas, il y a eu un déversement. Le BST dit avoir recensé en moyenne quatre accidents ferroviaires concernant un déversement par année durant la dernière décennie.


Des voies ferrées sécuritaires

L’Association des chemins de fer du Canada, un groupe de lobbys de l’industrie, n’a pas répondu à la demande d’entrevue de CBC. Elle a toutefois avancé dans le passé que les chemins de fer canadiens étaient plus sécuritaires que jamais.


Dans un communiqué du 13 février, le président-directeur général de l’Association, Marc Brazeau, a indiqué : Nous savons depuis longtemps que les chemins de fer de marchandises du Canada sont les plus sécuritaires en Amérique du Nord. Ils sont également les plus rentables du continent, et leurs tarifs figurent parmi les plus bas du monde. Le directeur du programme d’ingénierie ferroviaire et de sécurité de l’Université du Delaware, Allan Zarembski, soutient pour sa part que le déraillement de l’Ohio est malheureux, mais peu courant. ll précise que 10 à 20 fuites de produits chimiques dangereux sont signalées chaque année dans toute l’Amérique du Nord. Vais-je dire qu’il n’y a aucun risque? Non, je ne dirai pas ça, ajoute-t-il toutefois.


Allan Zarembski croit malgré tout que l’industrie ferroviaire fait preuve de motivation pour prévenir les déraillements dévastateurs et coûteux.


Lac-Mégantic : un dossier encore ouvert

Les habitants de Lac-Mégantic vivent toujours avec les conséquences de la tragédie : 47 morts, 26 enfants devenus orphelins et 6 millions de litres de matériaux toxiques déversés. Le recours collectif contre le Canadien Pacifique est toujours en cours. La décision rendue en décembre dernier par la Cour supérieure, blanchissant le transporteur ferroviaire pour son rôle dans la tragédie, vient d’être portée en appel.


Joël Rochon, l’avocat qui représente les plaignants du recours collectif, a indiqué dans une déclaration écrite qu’il croit que d’autres accidents et déversements vont se produire si l’industrie ne change pas de culture et de normes de sécurité.


« La tragédie de Lac-Mégantic a démontré que l'industrie ferroviaire, dans son état actuel, ne peut s'autogérer. »

— Une citation de Joël Rochon, avocat représentant les plaignants du recours collectif contre le Canadien Pacifique


Une réglementation et une intervention actives du gouvernement sont nécessaires, écrit-il. L'industrie ferroviaire doit abandonner son approche archaïque, cloisonnée et classique de la gestion des risques, et reconnaître que la sécurité est la responsabilité de tous.


Avec les informations d'Yvette Brend


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